La communication responsable entend se positionner au cœur de l’entreprise. En questionnant en profondeur l’organisation, elle peut impulser des changements significatifs en interne, et se mettre pleinement au service de la transition écologique.
« C’est le rôle du communicant que de poser les questions qui fâchent ». Mathieu Jahnich, expert et chercheur en communication responsable, se montre offensif quand il s’agit de parler du métier qu’il arpente depuis une vingtaine d’années. « Il est important de redonner une place centrale à la communication et de changer de paradigme : une communication responsable, c’est une communication qui cherche à réduire ses externalités et à se mettre au service de la transition. »
Le décor est planté. La communication responsable se doit d’être un moteur des entreprises. Alors qu’elle pourrait être vue que comme une fonction support, chargée de relayer la vision de l’entreprise et sa stratégie marketing, Mathieu Jahnich en propose une autre lecture. « La communication responsable redonne une place centrale aux communicants car elle est un moyen de questionner la stratégie plutôt que de la dérouler sans faire remonter ce qui vient du contexte, de la société civile, des tendances. »
Outre sa vision de la communication responsable, Mathieu Jahnich revient sur la maturité des entreprises face aux enjeux de transition. « A l’heure actuelle, les entreprises sont de plus en plus habituées à mesurer leur empreinte carbone ». Les autres indicateurs sont, à ses yeux, encore peu pris en compte. Côté environnemental, les indicateurs liés à l’appauvrissement des ressources en eau ou en matière, la perte de biodiversité, etc. sont autant d’éléments encore difficilement perçus. « Les entreprises vont là où c’est le plus facile d’aller, c’est classique. Et ce qu’il se passe avec les indicateurs environnementaux, hors gaz à effet de serre, il en va de même avec les indicateurs sociaux ».
Les indicateurs sociaux liés à l’inclusion, l’accessibilité, le bien-être ou encore l’éthique sont autant d’indicateurs dont la mesurabilité reste complexe. Comparés à des émissions de gaz à effet de serre calculées avec un indicateur clair, l’équivalent carbone, ces indicateurs peuvent avoir une appréciation plus subjective, moins normée. Pour l’expert en communication responsable, lorsque c’est plus compliqué, les entreprises sont moins susceptibles de se lancer car il est alors plus difficile d’évaluer l’évolution entre le point de départ et le point d’arrivée.
Pourtant, l’enjeu de mesurer autre chose que le carbone est essentiel. Tout est lié et ne travailler que sur le carbone peut avoir un effet rebond sur un autre indicateur, à l’image de ce que nous confiait Etienne Lees-Paresso, dans un entretien sur l’évaluation de l’empreinte du numérique dans le cadre de GreenTech Forum. Par exemple, lorsque des acteurs du Cloud cherchent à diminuer la consommation électrique de leur serveurs en utilisant le refroidissement par l’eau, on peut attendre un report de l’impact carbone sur les ressources en eau.
Si un des enjeux se situe autour d’une plus grande maturité des entreprises sur les enjeux RSE, pour Mathieu Jahnich, un autre défi, pouvant jouer sur cette prise de conscience, est de lever les freins pour que tous les communicants adoptent les principes de la communication responsable. « Les communicants sont plutôt très enthousiastes à l’idée d’aller vers une communication plus responsable mais il y a des freins encore importants », précise-t-il, « pour l’instant beaucoup de gens stagnent avec des a priori qu’il revient à nous, experts de ces sujets, de faire bouger ».
Pêle-mêle, Mathieu Jahnich cite les freins qui reviennent le plus souvent : « la communication responsable, c’est produire des supports moches », « cela coûte plus cher », « ce sont beaucoup d’arbitrages à faire ». Dès lors, la pédagogie se révèle clé pour montrer l’intérêt de la communication responsable.
L’appréhension réside aussi dans le fait que les efforts consentis ne sont pas toujours mesurables de manière simple. Au final, Mathieu Jahnich concède que changer de posture est difficile car les communicants doivent déconstruire certaines habitudes, « mais ce qui est formidable avec la communication responsable, c’est que les communicants reprennent une place centrale au sein de l’organisation ».
A l’instar de la mesure, toutes les entreprises ne sont bien sûr pas au même niveau de maturité. Au yeux de Mathieu Jahnich, les plus engagées sont celles au sein desquelles un certain nombre de personnes sont déjà convaincues. Notamment, si les équipes dirigeantes et/ou les équipes RSE portent de fortes convictions, il sera d’autant plus facile de déployer une communication responsable. Les équipes communication de ces entreprises, qu’elles soient internes ou externes, vont être questionnées sur leurs engagements et leur proposition de valeur.
« Mais attention, le danger est que les entreprises convaincues pensent qu’elles sont tellement en avance, qu’elles font tout bien », prévient Mathieu Jahnich, « or, malgré leurs efforts louables, elles font toujours parties du problème ; il faut une posture humble même quand on fait beaucoup pour se transformer ». En bref, ces entreprises mâtures font partie des moteurs pour favoriser la transition écologique de la société, mais attention, le spectre du greenwashing n’est jamais loin.
Pour les autres entreprises moins mâtures, il faut user de beaucoup de pédagogie pour montrer l’intérêt et faire comprendre comment aller vers une communication responsable. Montrer les nouveaux récits possibles est essentiel pour donner une perspective de ce qui est possible de faire avec la communication responsable. Dans le secteur public, reconnaît Mathieu Jahnich, il est plus facile d’aborder ces sujets et de montrer que parler sobriété au grand public peut avoir un impact positif sur l’image de la collectivité.
Quel que soit le degré d’avancement sur le sujet de la communication responsable, Mathieu Jahnich est convaincu que les enjeux des entreprises ne peuvent fonctionner en vase clos, et met en avant le lien évident entre marketing et communication. « Travailler sur les enjeux du marketing responsable, c’est remonter au cœur des enjeux business des entreprises. C’est indispensable pour compléter notre travail de communicant ». En tant que pilote du Comité de Programme du Congrès de la Communication et du Marketing Responsables, Mathieu Jahnich se réjouit de l’intégration des enjeux marketing responsable dès cette année au sein du congrès. D’autant plus mis en exergue qu’ils sont désormais intégrés au sein du nom de l’événement.
« On se doit de travailler main dans la main avec le marketing pour questionner les entreprises et entrevoir comment changer réellement de modèle d’affaires ». Mathieu Jahnich, évoque notamment le cas des entreprises qui ont déjà un historique important avec plus d’une dizaine d’années d’ancienneté. « Pour les entreprises qui se créent aujourd’hui c’est plus facile d’adopter directement un modèle d’affaire durable, pour celles plus anciennes, il faut se transformer en profondeur, remettre en cause ses offres ; ce n’est pas une mission facile ».
Pour lui aujourd’hui, le point positif est que les entreprises développent quelques offres durables. L’enjeu désormais est de passer à l’échelle. « Comment passer de 5%, 10% de chiffre d’affaires “durable” à 30%, 50% ? C’est là l’enjeu », renchérit-il, « les entreprises qui font ça prennent des risques et il faut les accompagner ».
Le Congrès de la Communication et du Marketing Responsables, doit, à ses yeux, faire partie des événements qui accompagnent les entreprises et leur permettent de franchir des caps. « Ce congrès doit également être un moyen d’élargir notre propos auprès de personnes non convaincues pour éviter de continuer à développer deux mondes en parallèle ou seules quelques entreprises osent prendre des risques pour penser long terme et durabilité. »
Le congrès a lui un rôle à jouer alors que la communication responsable reste un défi pour nombre d’entreprises. Les barrières à lever demeurent importantes pour créer un effet de masse sur ces sujets. Mais les attentes de la société et la pression législative sont des facteurs qui incitent les communicants des entreprises et des agences à être de plus en plus attentifs à leur action pour ne pas être caution de stratégies non durables, ne tenant pas compte des limites planétaires.
C’est ce qui poussent celles et ceux qui adoptent les principes d’une communication responsable à remettre en question certaines stratégies d’entreprises. Ils permettent ainsi la mise en mouvement. Reste encore à savoir : à quand l’effet de bascule ?
Depuis plus de vingt ans, Mathieu Jahnich explore et analyse les enjeux communication des organisations, en particulier dans les domaines de l'environnement et de la responsabilité sociétale. En tant que consultant-chercheur et gérant de MJ Conseil, il aide les entreprises et les organisations à répondre aux attentes sociétales et à relever les défis de la transition écologique et solidaire grâce à une communication plus responsable
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour le Congrès de la Communication et du Marketing Responsables